Prisons croisées ou
lecture en prison de Rosa Luxemburg emprisonnée
Prison de Metz-Queuleu, avant même
le passage des surveillantes car je refuse de bouger sur ordre, alors que la
prison dort encore, et que l'on s'entend presque soi-même respirer et vivre, le
café bricolé des détenus devant moi, assise à la table face au ciel qui
lentement s'éclaircit, je commence une lecture et un travail quotidien: la
correspondance et les écrits de Rosa Luxemburg. Cela fait la sixième prison que
j'intègre, et ma troisième année de vie quotidienne avec RL. Militante
révolutionnaire, je vis depuis quatre ans au rythme des transferts et de
l'isolement, le transfert, c'est pour les femmes le moyen d'isolement préféré
de l'AP. Depuis longtemps déjà je proteste par le silence. Alors, en dehors de
l'heure de promenade avec deux prisonnières, c'est Rosa Luxemburg qui est mon seul
interlocuteur.
Lire Rosa Luxemburg en prison, lire ses lettres en détention, c'est
avoir l'impression que la prison reste éternellement même: ses moyens pour
tenter de vous soumettre, mais parfois un respect qui ne peut s'empêcher de
transparaître pour la volonté inflexible que vous pouvez montrer.
La lecture en prison de Rosa Luxemburg en prison prend une
extraordinaire profondeur et une
profonde résonance. La description de son quotidien entre silence et
travail intellectuel, l'évocation de tout ce que représente un transfert, la
condamnation à dix jours pour révolte contre un surveillant qui lui interdit
d'aborder un sujet pendant un parloir, tout me parle fortement, étrangement. Le
silence qu'évoque RL, est celui qui règne autour de moi, la condamnation fait
écho aux nombreux mitards connus pour refus de transfert ou autres et diverses
raisons, l'ambivalence du personnel entre respect pour la résistance
quotidienne et blessures répétées de mille petites atteintes, je la retrouve
dans certaines lettres. Et je retrouve, l'extraordinaire impression d'isolement
incommensurable quand des nouvelles terribles vous arrivent: pour RL, les morts
de la guerre 14-18.
L'observation du ciel, des
innombrables nuances qu'il prend de l'aube à l'aurore, des oiseaux peu
romantiques qui squattent la cour, le suivi à distance de la vie quotidienne
des prisonnières, nous mettent en phase. La respiration semble parfois se
suspendre comme le temps.
Et puis il y a , partagée, l'obstination
politique à travailler entre quatre murs malgré la prison. Il y a le regard des
surveillante devant ce travail obstiné, il y a l'attention des prisonnières et
leurs attentions qui vous arrivent malgré les ordres carcéraux d'isolement.
Lire Rosa Luxemburg en prison, c'est affirmer sa résistance mais aussi
la permettre.
Les combats en prison ont été
nombreux : au mitard de Fleury, une grève dure qui me mènera à l'hôpital pour
refus des conditions qui règnent dans les cellules: pas d'eau, repas passé sous
les grilles, un mince matelas de mousse sur le sol. Puis après un troisième
transfert à Chalon, un jour de Pâques, la montée sur les toits de la prison
avec pour tout texte revendicatif un poème de Verlaine: "le ciel est par
dessus les toits ...". Un autre combat, à Lille, pour que l'on s'adresse à
vous avec correction: refus de douche pendant près de deux mois, la prison
cède. A chaque transfert, le refus de la photo entraîne une connaissance
étendue et comparée des différents mitards des prisons fréquentése, et à Metz,
enfin le refus de faire quelque demande que ce soit, visite ou livres. Et
pourtant les livres de RL arrivent dans ma cellule et la seule personne qui a
le droit de visite vient un beau matin. La prison a bien voulu céder.
Mais lire Rosa Luxemburg en prison, c'est aussi suivre ses analyses
et voir ce qu'elles ont de relevant pour nous aujourd'hui, c'est être portée
vers le haut, c'est aiguiser son intelligence, c'est devenir une autre, c'est
apprendre et comprendre.
Et surtout, lire Rosa Luxemburg en prison, pour un militant politique,
c'est réfléchir à son propre combat, au système que l'on a combattu, et que
l'on continue à combattre.
Lire Rosa Luxemburg en prison, c'est vivre beaucoup plus
intensément, faire tomber les murs, rire toute seule d'une saillie et admirer
ses trésors d'écriture.
Lire Rosa Luxemburg en prison,
c'est vivre consciente et vivre libre.
Dominique
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