mardi 27 mai 2014

Critique des Souliers rouges par C.A.R.L.

 
 
Les souliers rouges

 
Les Souliers rouges Traces fragmentaires de la correspondance de Rosa Luxemburg et son expérience de la prison, mises en scène par Sabrina Lorre, avec Dider Hominal et Marie B, Josiane Carle, Dominique Chenet, Catherine Séon, Cathy Albert-Spader, Émilie Weiss.
 
Des prisonnières viennent d'arriver en détention
 
Deux bancs perpendiculaires au public délimitent un espace, tour à tour cour, fouille, cellule ... Un pupitre au fond dans un coin ... Des consoles et des instruments de l'autre côté.
 
Des prisonnières viennent d'arriver en détention. Elles sont quatre, quatre ... Et chacune à sa manière, donne ses objets personnels à ce que l'on appellerait aujourd'hui la fouille. Ce n'est pas dit, c'est ... joué ... dans le silence. Une prisonnière sauve  ... un livre que peu à peu les autres découvriront.
 
Dans ce spectacle, le silence et les postures sont souvent comme les seuls contre-points aux lettres. C'est le jeu, c'est la force du jeu et l'importance de la mise ... en scène
 
La surveillante
 
Une surveillante (une gardienne), toute en raideur distante, se tient là. Elle sera celle à laquelle se heurteront directement ou non les prisonnières.
Celle qui est la limite de leur liberté.
Celle qui lors d'une fouille, comme toutes les fouilles, indiscrète découvrira elle aussi l'écriture, la réflexion de Rosa Luxemburg, dans une lecture des "buffles", retenue mais expressive, dans les interrogations qui doucement affleurent.
 
Les prisonnières disent, lisent, parlent, vivent Rosa Luxemburg
 
Ces prisonnières  vont dire, lire, parler, vivre Rosa Luxemburg et se dire elles, la prison, la conscience, l'engagement.
 
De temps en temps, quand les prisonnières s'échappent vers les coulisses, une accélération, un mouvement de scène tournant, comme une allusion rapide à la ronde des détenus d'autrefois dans les cours de promenade.
 
Ces prisonnières, chacune à leur manière, découvrent les lettres écrites en prison par Rosa Luxemburg, chacune à leur manière arrachent à elles,
avec une douceur obstinée et fragile
ou une énergie vivante et toute en force,
les textes qu'elles lisent et disent.
 
Rosa Luxemburg
 
Au coin gauche, au fond, à intervalles, Rosa Luxemburg se dresse, face au procureur, face au tribunal et donne à entendre des extraits de sa déclaration lue lors du procès de février 1914, des extraits de textes. Ironie, conviction, intelligence.
A chaque fois, selon le principe du choeur, elle est annoncée par les femmes prisonnières, et brusquement éclairée, elle sort de l'ombre de l'arrière-plan et prend toute sa place et avec elle sa conscience et son combat.
Premier extrait: "Est un chien, celui qui ...". Et c'est toute la tragédie du ralliement de la social-démocratie à la guerre qui s'exprime.
Les autres extraits ont tous une valeur d'exemple de ce combat mené par Rosa Luxemburg.
Et c'est une qualité de ce spectacle que la construction, le choix, et l'interaction des textes choisis.
 
Les prisonnières
 
Une prisonnière traverse en silence toute la représentation, symbole de ces détenues sans voix, qui habitent et traversent le temps et l'espace carcéral.
 
Une prisonnière allongée, sur un des bancs, qui évoque le lit étroit et rudimentaire des cellules, dit face à un écran vide, une lettre de Rosa Luxemburg qui évoque la nuit en cellule.
Elle transmet sensiblement la solitude allongée des mots, de l'esprit, qui s'échappe, mots qui en deviennent plus présents, plus réels, comme s'ils étaient, réellement, en train de se penser.
 
Une prisonnière ne lit pas, mais raconte ce que raconte Rosa Luxemburg à Sonja Liebknecht, une visite de son frère à la prison de Varsovie, la cage dans la cage, les images de l'autre prises dans un scintillement qui les nie.
 
L'annonce des dix jours pour refus d'accepter l'interruption d'un parloir, est criée invisible, de l'arrière des coulisses et est accueille par un chahut, si caractéristique de cette communication contrainte des prisonniers qui s'informent sans voir et sans se voir au retour du palais de "justice".
 
Transmission et résonance
 
Il y a une vraie transmission de la prison d'hier et d'aujourd'hui dans cette représentation.
Il y a une vraie transmission de l'oppression, de la violence vécue
Il y a une vraie transmission de la diversité et universalité de la réception de Rosa Luxemburg 
Il y a une vraie transmission de l'humanité si diverse des êtres humains.

Une transmission qui passant par la médiation d'un autre, s'enrichit de cette médiation.
 
Mais il y a aussi une vraie transmission de la pensée de Rosa Luxemburg par le fil rouge de ce procès politique, par les extraits de lettres et textes choisis pour exprimer les combats, l'espoir de révolution, la volonté d'en être. "Un jour le printemps viendra". Repris dans la chanson interprétée alors que le spectacle semblait terminé par le musicien qui accompagne ces femmes prisonnières, chanson qui affirme et le dit : tous les printemps sont politiques.
 
Aussi ce spectacle offre-t-il une résonance vers aujourd'hui et vers l'avenir.
Et c'est, quand on met en scène Rosa Luxemburg, une exigence que l'on doit avoir.
Exigence, résonance politique trop souvent absente aujourd'hui des spectacles officiels inspirés par la lecture des lettres.
 
Résonance, parce que ces opprimé(e)s qui ici nous lisent et disent ces lettres et textes, ne cesseront jamais de vouloir comprendre, de vouloir changer, de pouvoir changer le monde:
 
Tous les printemps ont été, sont et seront politiques. Rosa Luxemburg est de celles
qui peuvent transmettre cet espoir
 

Remarques.
 
Remarque n° 1 : Dans les conversations d'après-spectacle, des spectateurs, jeunes et moins jeunes, nous disent être venus découvrir et avoir découvert Rosa Luxemburg.
 
Et nous sommes heureux de les sentir si émus et intéressés par elle.

Remarque n° 2 : Ce spectacle pas plus que les autres de la Quinzaine, même pas la venue de Gatti, n'a eu de présence de médias (il y a quand même eu un bon reportage en début de quinzaine sur France 3) et d'institutionnels stéphanois. Cette quinzaine devenue mois a dû pratiquement se faire hors argent officiel  et hors intérêt de ceux qui prétendent animer la culture. Elle s'est faite de liens tissés entre artistes, de solidarités pratiques comme l'investissement du Chok Théâtre ou la prise en charge de la communication sérigraphiée par Petits Travaux. Elle s'est faite de l'investissement de chacun à hauteur de ses possibilités. Résultat inouï: un mois de manifestations impliquant plus de cent intervenants directs ou indirects. La quinzaine, c'est une remarquable histoire, une expérience qui est tout à l'honneur de l'autre ville, celle qui sait ce qu'est le théâtre populaire, une ville héritière d'une longue histoire.
 
Mais c'est une histoire qui n'existe que par la fragilisation totale des artistes qui l'animent et la font vivre.
  C'est pour nous une chose inadmissible et douloureuse à constater.
 
c.a.r.l.
Le 25 mai 2014

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